Alors, plutôt confiture ou pâte d’amande ?
La période du laskiaispulla vient de se terminer – j’espère que vous avez choisi votre camp ! Je parle, bien sûr, de votre variété préférée de ces petits pains à la cardamome (pulla) remplis de crème fouettée et de confiture ou de pâte d’amande, vendus pour célébrer le Mardi Gras.
Chaque année, le débat fait rage. Et cette fois, une troisième option a fait son apparition – les laskiaispullat à la pistache – rapidement devenue la tendance du moment.
Le laskiaispulla – une pâtisserie traditionnelle finlandaise
Avant de commencer le jeûne du Carême, quoi de mieux que ces bouchées de plaisir qui apparaissent sur les rayonnages dès le mois de janvier, tant on les aime.
Impossible de s’y méprendre, un laskiaispulla ressemble à un énorme chou à la crème coiffé d’un petit chapeau de pâte, dangereusement penché, qui finit inévitablement par tomber.
Avant de passer commande, on inspecte de près chaque intérieur, histoire d’identifier les options. Moi, c’est décidé, j’aime ceux à la confiture.
Enfin, on ouvre la bouche bien grand et on croque. Immédiatement, la chantilly déborde – sur le bout du nez et sur les bajoues. Puis vient la saveur des épices, la fraîcheur de la crème, et le goût prononcé de l’accompagnement. Miam.
Une spécialité d’hiver
En Finlande, le laskiaispulla relève quasiment du mythe, car il évoque aussi les souvenirs d’enfant et les joies de l’hiver, notamment les descentes en luge ou à ski. La coutume veut que le Mardi Gras, ou le dimanche d’avant, on se rende sur les collines et dans les parcs pour profiter d’une grosse journée de sports d’hiver, couronnée par ces délicieux pains du Carême.
Des bonheurs vertueux et sains
Pour parler de cette pâtisserie, j'ai décidé de me plonger dans les archives historiques des journaux finlandais. J'ai découvert un passé où laskiaispullat, luge et carême sont intimement liés.
Dans les premières décennies du 20e siècle, publications, récits, souvenirs, blagues, histoires naïves, et textes moralisateurs évoquent les honnêtes plaisirs de la luge et le bonheur d'être en famille.
Ces récits glorifient les joies simples, et, surtout, une existence en toute moralité centrée autour du cercle familial.
Invariablement, la journée de luge se termine à la maison, avec les parents, autour de laskiaispullat et d’un bon verre de lait.
Les Finlandais et le lait, c’est toute une histoire, mais cela nous rappelle aussi qu’un grand nombre de ces textes sont rédigés pendant les années de prohibition (1920-1932), et que le mouvement de tempérance était très puissant dans le pays.
[Le jour du Mardi Gras, les enfants s’amusent. Tôt le matin déjà, ils prennent leurs luges et leurs skis et se dépêchent d’aller jusqu’à la piste. Tout le monde veut y arriver en premier. Partout, il y a de la joie ! Beaucoup font des soubresauts et finissent blancs comme des bonhommes de neige. Qu’importe! Finalement, le soleil se couche et les enfants rentrent à la maison, heureux et les joues rouges. Les bons laskiaispullat de maman les attendent à la maison. Comme ils sont délicieux !]
Bal, carnaval, morale, régal
Comme ailleurs, le Mardi Gras était l’occasion de faire la fête – mais sans trop d’excès. Jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale, associations de village, sociétés des jeunes et comités de divertissement organisent des bals pour l'occasion, dans les salles de paroisse et les maisons de quartier.
Dans le journal, ils appâtent les adolescents avec la promesse de laskiaispullat et, vous l’avez deviné, de verres de lait ! Si quelques voix plus âgées se souviennent en grommelant d'un temps où la fête était plus folle (avant la prohibition), les jeunes semblent se satisfaire de ces ambiances festives passées en toute respectabilité.
Repas de gala en famille
Pour ceux qui ne souhaitent pas se trémousser sur la piste, un repas bien gras est servi à la maison. On sort les décorations de carnaval et on prépare la table comme pour un festin : les pieds de cochon, restes de la bouchoyade de Noël, sont bouillis et soigneusement disposés sur la table avec des sandwichs froids, de la soupe aux pois, et des pommes de terre (Koteliesi, 1 février 1937).
Une recette de 1927
Curieuse de comparer les recettes anciennes de laskiaispulla avec les confections achetées en boulangerie aujourd’hui, je me suis plongée dans une recette de 1927, proposée
par la revue Aitta pour toutes les féées du logis rural.
Selon cette recette, il faut ajouter dans la pâte (lait, sucre, levure, œufs, farine) quelques gouttes d’huile d’amande amère. Point de mention de cardamome, si importante de nos jours. Quant à la farce, il s’agit d'une sorte de crème d’amande, à savoir un mélange de parts égales de sucre, de pâte d’amande et de lait.
Après la cuisson, il faut décapiter chaque petit pain (pour le chapeau), puis l'éventrer sans vergogne pour en retirer la mie. Celle-ci est finement râpée, puis mélangée avec la pâte d’amande et le lait. On remplit ensuite chaque petit pain avec cette mixture, avant de le garnir de son chapeau. A servir, dit Aitta, avec du suce et...Du lait bouillant.
Laskiaispullat à la pâte d’amande – en vente dans toutes les bonnes pâtisseries
Avec tout ça, il devient clair qu'au début du 20e siècle, les laskiaispullat à la confiture ne sont pas du tout à la mode. On ne vante que ceux à la pâte d’amande.
Il faut dire qu’ils sont un péché mignon raffiné – tandis que ceux à la confiture sont considérés comme la variante des pauvres. Ce n'est qu'à partir des années 1980, que les laskiaispullat à la confiture sont proposées au même titre que les autres, et que la concurrence commence.
Hannu et le laskiaispulla – Un conte du Carême
Pour ceux qui ont assez mangé de laskiaispulla mais qui aimeraient savourer quelque chose d'autre, voici un conte entièrement repris (abrégé) de la revue Seura du 3 mars 1938, et signé "Tante Elsa".
Je l’ai choisi parmi différents récits de l'époque, car je trouve qu'il cristallise les aspects évoqués plus haut, de la moralité au bonheur familial, en passant par la tradition du laskiaispulla, les joies enfantines et les inégalités sociales. Je vous laisse ainsi avec Tante Elsa, vous souhaite un bon Carême plein de laskiaispullat et de verres de lait.
***
"Laskiaispulla" (par Tante Elsa)
La classe était en émoi ! Tous se réjouissaient du lendemain – le Mardi Gras. A la fin des cours, de bons laskiaispullat seraient servis à tous les enfants, et tous se demandaient si ce serait aussi bien que la dernière fois. "Tu te souviens de l'année dernière? Quand la maîtresse a sorti le livre de contes de fées et nous a lu des histoires pendant qu’on mangeait nos laskiaispullat ?".
Tandis que les enfants s'emballaient, Hannu, au fond de la classe, ne disait rien. Il venait d’une maison pauvre, et ne comprenait rien de ce que les autres racontaient. C'était sa première année dans cette école, et il n’avait jamais participé à une telle distribution. En recevrait-il un, lui aussi ? "Oui, c’est sûr" lui répondirent les enfants, et il les crut. Dès lors, il imagina un énorme gâteau, vraiment immense, et c'était le sien! Comme maman et papa seraient surpris ! ll y aurait un gros morceau pour papa, un autre, de la même taille, pour maman, et il même un petit bout pour lui. Peut-être que maman referait du café – alors, ce serait vraiment la fête !
La cloche sonna, et les élèvent filèrent à la maison. Hannu rentra seul, car les autres n'aimaient pas ce garçon doux et timide. Hannu était triste d'avoir personne avec qui partager son bonheur, mais il repensa à son gâteau et oublia vite les autres enfants. Demain, en rentrant, il aurait son laskiaispulla.
Mais les choses se passèrent différemment. Ce soir-là, Hannu attrapa froid, et il eut la fièvre. Le matin, sa mère lui interdit de se lever. "Mais je dois aller chercher mon laskiaispulla!" lui dit-il, mais elle voulut rien entendre. "C’est certainement mieux ainsi - qui donc distribuerait des laskiaispulla gratuits ? Les autres les ont sûrement payés, mais nous, nous ne pouvons pas nous le permettre. Restes sagement à la maison ; mieux vaut ça que d'être le seul qui n'en reçoit pas". Hannu n’avait pas pensé que les autres avaient payé leur laskiaispulla... Soudain, il se sentit très fatigué. Il ferma les yeux et s'endormit - ainsi, pas besoin de penser à tout ça.
Pendant ce temps, c'était la fête à l’école. Tout était aussi bien que l’année d'avant. Alors que la maîtresse lisait des contes de fées, quelqu’un frappa à la porte. C'était le garçon du boulanger, avec un gros panier. Chacun put choisir son laskiaispulla, mais personne n'en a mangé – il fallait d’abord le montrer à maman et papa !
A la fin de la distribution, il en resait un dans le panier: “C’est le pain de Hannu” s'écrièrent-ils en cœur. "On peut tirer au sort celui qui pourra le manger !"
Le visage de la maîtresse devint sérieux. Elle dit aux enfants que pauvre Hannu était malade, et sûrement très triste de rater la distribution. Lui, plus que quiconque, avait besoin de quelque chose dont être heureux. "Soyez gentils avec lui, vous voyez bien à quel point cet enfant est triste et abandonné."
Reino, le joyeux garçon aux joues rouges, offrit tout de suite d'amener le pain chez Hannu. La maîtresse était de nouveau heureuse, et ajouta que c'était si bien de vouloir apporter de la joie aux autres.
Quand Reino arriva chez Hannu, sa mère était si surprise. « Ne fais pas de bruit, Hannu dort. Mets le laskiaispulla sur son lit, et ce sera une surprise. »
Reino fit comme elle dit, mais alors qu’il était sur le point de partir, Hannu se réveilla d’un rêve merveilleux, dans lequel il rencontrait un laskiaispulla dans la rue, une sorte de petit bonhomme aux yeux et à la bouche en raisins. Ce laskiaispulla était très pressé, et il fila jusqu’à la maison de Hannu, se glissa dans la maison et sauta sur son oreiller. C’est à ce moment que Hannu se réveilla.
Ouvrant les yeux, Hannu vit le laskiaispulla et s’exclama: “Où sont donc tes pieds et tes mains?”. Reino se mit à rigoler, et Hannu se sentit tout timide. Reino s’approcha alors de Hannu, lui caressa son front bouillant, et lui dit que c'était la maîtresse qui l’avait envoyé. A ce moment, les deux garçons se lièrent d’amitié. La journée qui avait si mal commencé pour Hannu devint une célébration : Hannu avait reçu un laskiaispulla et, surtout, s'était fait un nouveau copain.
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